Reste à porter l’estocade fatale : « Libertine » sort en mars 1986. La première pochette représente Mylène (encore brune) posant sagement en robe orange. Suite à l’engouement suscité par le titre, une seconde pochette voit le jour en été, avec un cliché tiré du clip de « Libertine ». Fait majeur : peu après le tournage de « Libertine » et sur les conseils de Christophe Mourthé, un ami photographe, Mylène se teint en roux (option abricot), une couleur dont jamais plus elle ne se départira jusqu’à aujourd’hui. La chanson, au refrain irrésistiblement accrocheur (alors que curieusement le texte entier est beaucoup plus triste qu’il n’y paraît au premier abord), devient rapidement un méga-tube. Le clip, de plus de dix minutes, contribue également à forger une légende qui est en train de naître.
La vidéo débute par un duel entre le personnage de Libertine (joué par Mylène) et un homme, qu’elle abat sans états d’âme. Ce rôle masculin est interprété par Rambo Kowalsky, alias le violeur sadique de « Plus grandir », alias Hervé Lewis (aujourd’hui entraîneur physique de Mylène et de Johnny Hallyday, et photographe des célèbres publicités Aubade). La maîtresse du tué (incarnée par Sophie Tellier, danseuse et chorégraphe), présente au duel, se rue sur le cadavre et adresse à Mylène une œillade assassine, style « toi-je-t’aurai ».
S’ensuit, dans une ambiance de libertinage très dix-huitiémiste, une histoire de sourde vengeance riche en rebondissement entre les deux femmes, qui se partagent à nouveau un même homme. Le tout se complique de scènes coquines et violentes, mettant en scène la confusion des genres, des sexes et des désirs. Mylène-Libertine se dénude intégralement à l’occasion d’une scène d’amour constituant un curieux intermède : en effet, la chanson s’interrompt alors, et les images défilent sur une musique originale. A la fin du clip, Libertine, partie avec son nouvel amant, est rattrapée par les hommes de main de la maîtresse bafouée : les hommes tirent, les deux fuyards tombent de cheval, en sang.
« Libertine » provoque un électrochoc dans le paysage musical français, donnant d’ailleurs des idées à feu la chaîne TV6, qui clame alors sa volonté d’aider à la production de clip français « chic, scénarisés et chers » pour contrer l’afflux des clips anglo-saxons.
Laurent Boutonnat produit son œuvre avec l’agence de publicité Movie Box (dirigée par Alain Grandgérard). La production a une ambition claire, celle de prouver qu’un vidéoclip peut-être une véritable histoire construite comme un court-métrage (le découpage technique a été entièrement story-boardé par Boutonnat). Filmé au château de Ferrière (dont une des pièces est entièrement « relookée » pour l’occasion), « Libertine » a nécessité une équipe d’envergure, mais seulement quatre jours de tournage. Et au final, il coûte moins cher qu’il n’y paraît (soixante-seize mille euros). Comme pour « Plus grandir », une avant-première est organisée au Mercury des Champs-Elysées, le 18 juin. Sur le flyer destiné aux journalistes, il est précisé non sans humour que, lors du cocktail qui suivra la diffusion, ils pourront regarder, sur des écrans disposés à cette intention, le match de foot de la Coupe du Monde !