Le 25 septembre, elle revient avec un troisième single, « Plus grandir ». Comme pour « On est tous des imbéciles », la face B n’est pas anodine : le titre « Chloé » est en effet une comptine étouffante décrivant la noyade d’une petite fille (« eh, oh, ce matin / y a Chloé qui s’est noyée / dans l’eau du ruisseau / j’ai vu ses cheveux flotter »). Sur la pochette du 45 tours, Mylène, cheveux court et regard anxieux, incline la tête, drôle de petite poupée frêle. Le texte, le premier écrit par la chanteuse, évoque les angoisses de la maturité et le souhait d’une jeunesse éternelle.
Tourné aux studios Sets ( à Stains) sur cinq jours , dont un en extérieur au cimetière de Saint-Denis, le long clip de plus de sept minutes qui accompagne la chanson annonce tout de suite la couleur : Mylène, se promenant dans un cimetière avec un landau, s’arrête devant sa propre pierre tombale ; un flash-back nous ramène dans un château au décor gothique et à l’ambiance sulfureuse, et dévoile une Mylène tourmentée, aux prises avec, en vrac, sa poupée de chiffon, une vierge en plâtre animée, quelques rats, des bonne sœurs sadiques et naines, et enfin, un inconnu qui force la porte de sa chambre, et la possède sans appel.
On note la présence de Jean-Pierre Sauvaire à la lumière, qui collaborera longtemps avec Laurent Boutonnat et imprimera aux clips du « maître » cette teinte particulière, éclatante et funèbre. Comme dans les œuvres futures, le rapport sexuel filmé dans « Plus grandir » est ambigu : en même temps craint et désiré, il résume de façon brutale le passage de l’enfance à l’âge adulte. Mylène, à la fin du clip, finit grimée en vieille dame et la poupée de son enfance est amputée. Selon un ami de l’époque, Mylène se serait montrée à la fois effrayée et conquise par ce scénario « rentre-dedans ». Car cette première pierre apportée à l’édifice vidéographique (« Maman a tort » exclu) est sans conteste le début d’une œuvre forte, tapageuse et exigeante.
Le clip coûte relativement cher (cinquante mille euros) et il est coproduit par Polydor, Polygram, et Laurent Boutonnat, ce dernière n’étant pas dupe sur la place ambiguë que peut prendre une telle vidéo dans le paysage audiovisuel : « Le clip a aussi la fonction d’un spot publicitaire. Et dans la conception même il faut savoir en tenir compte tout en sachant que cela peut-être une œuvre cinématographique. Tout cela nous met dans une position bâtarde, y compris dans les négociations que l’on a avec les gens de la télévision et du cinéma, qui eux non plus ne savent plus trop comment appréhender le clip. »(Numéro 1, janvier 1986) La production organise une avant-première au cinéma Kinopanorama le 13 novembre, et Laurent cherche à faire enregistrer son clip auprès du Centre national de la cinématographie, afin qu’il soit considéré comme un court-métrage et puisse passer en première partie des salles de films.
Si « Plus grandir » remporte encore un succès d’estime (les ventes sont sensiblement inférieures à celle de « Maman a tort »), une chose est sûre : Mylène Farmer renvoie désormais dans les médias une image bien rodée, avec de nombreux point fort – producteurs très présents, option forte prise sur les clips… Bref, sans être encore une star, elle est néanmoins solide, inspirant la curiosité et le respect. Suivant la volonté conquérante de Bertrand Lepage, le titre « We’ll never die » sort début 1986 au Canada (avec toujours « Chloé » en face B). Cette chanson remplace donc « Plus grandir », destiné à la France, avec une thématique semblable de la jeunesse sacrifiée aux tourment de la mort : « Petit garçon foutu / ce désert il t’a eu / we’ll never die / t’as fait la guerre pour ta mère / elle t’a mis au monde en terre. »