Les dates tombent en février : c’est du 18 au 25 mai que Mylène se révélera au public du Palais des Sports. Ces concert parisiens doivent constituer un coup d’essai, la « vraie » tournée débutant quand à elle le 19 septembre à Grenoble, pour s’achever à Bercy, les 7 et 8 décembre 1989. L’affiche des concerts montre la chanteuse ouvrant les grilles de ce qui semble être un cimetière : tout un programme ! Le spectacle est coproduit par Laurent Boutonnat (via une nouvelle société qu’il a créée début 1989. Heathcliff, du nom d’un personnage du roman Les Hauts de Hurlevent) et par un nouveau venu dans le paysage « farmérien », Thierry Suc. Né dans la banlieue lyonnaise en 1961, l’homme est un entrepreneur, avec plusieurs sociétés à son actif (immobilier, spectacle). Il a débuté sa carrière dans la production de shows en prenant en charges les premiers concerts de Jean-Jacques Goldman. Des contributions financières sont également apportées par Toutankhamon, Polygrame et TuxedoTour. Enfin, le concert est sponsorisé par NRJ (incontournable et puissant partenaire, encore aujourd’hui) et Coca-Cola. La grosse affaire…
De la préparation du spectacle aucun indice ne filtre, ce qui fait murmurer çà et là que la star a prévu les choses en grand. Il faut avouer que quelques Cassandre sont sceptiques : n’étant pas une chanteuse « à voix », comment Mylène Farmer va-t-elle se débrouiller dans des grandes salles ? N’est-elle pas outrageusement culottée ? Et certains d’en rajouter : « Rassurons tous de suite les admirateurs du pantin mécanique : il y aura foule au Palais des Sports pour acclamer ses clips sans âme –mais avec beaucoup de chair- sa voix sans flamme- mais avec beaucoup d’ampère. Play-back, vous avez dit Play-Back ? » (Paroles et Musiques, mai 1989)
Mylène Farmer est tout à fait consciente de cette pression qui pèse sur elle : « Je sais que je vais être attendue au tournant. Mais je ne les laisserai pas me la couper. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas laisser tomber la lame ! Cependant, par provocation, je l’affûte » (Rock Hit, mai 1989)
Le travail de présentation commence. La construction du décor revient à Hubert Monloup (aujourd’hui décédé), spécialisé dans les décors d’opéra, qui est séduit par la folie des grandeurs de Laurent Boutonnat et réalise la scène en huit jours pour un budget confortable. Sophie Tellier, la fidèle rivale des clips, Thierry Rogen, le magicien du son, sont également de la partie. Hervé Lewis à l’entraînement physique et Emmanuel Engrand (chef du restaurant Le Distrito à Paris) aux fourneaux préparent enfin la rousse à assurer sans plier deux heures de show.
Au printemps, Ainsi soit je… remporte la récompense suprême : il est sacré disque de diamant (un million de ventes !). « Sans logique » continue à bien fonctionner (plus de 200 000 ventes). Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les locations s’arrachent, en deux jours pour les dates parisiennes. Après un tour de chauffe le 11 mai 1989 à Saint-Etienne, c’est donc à Paris que Mylène se donne en spectacle. Le jour de la première parisienne (le 18 mai), une pleine page achetée dans le journal Libération par des proches de la chanteuse avec pour seul message : « Mylène, ceux qui t’aiment te saluent »…
Et le spectacle est gigantesque. Décor de cimetière (dont les grilles sont préalablement ouvertes par un moine encapuchonné), chorégraphies tourbillonnantes, costumes somptueux (créés par Thierry Mugler), Mylène Farmer offre un show spectaculaire, émaillé de grands moments : l’intro de « Maman a tort », au court de laquelle une Mylène en grenouillère s’extrait des jupes de l’imposante choriste Carole Fredericks, la chorégraphie plaisamment elliptique façon Rita Mitsouko de « Sans contrefaçon », le « Libertine » presque intégralement théâtralisé, jusqu’au duel entre Mylène et Shophie Tellier, et un final plombé, où Mylène en larmes reprend la mélancolique « Je voudrais tant que tu comprennes » de Marie Laforêt. C’est le triomphe !
Le début de la tournée est un coup d’essai gagnant. A priori Mylène peut s’offrir des vacances bien méritées avant de reprendre ses concerts dans toute la France. C’est mal connaître l’énergie de l’artiste. Tout d’abord, elle assigne en référé, au moi de juin, le mouvement politique RFL (Rassemblement pour une France libre) pour avoir diffusé une affiche électorale, pendant les européennes, utilisant une photo extraite du clip « Sans logique » avec la mention « Ils promeuvent la laideur et la drogue. Non à la sous-culture des médias ». Mylène obtient immédiatement gain de cause, et l’affiche est retirée. Ensuite, un nouvel inédit sort courant juillet, qui s’intitule « A quoi je sers », où Mylène semble s’interroger sur le sens de son existence : « Mais mon dieu de quoi j’ai l’air / Je sers à rien du tout / Et qui peut dire dans cet enfer / Ce qu’on attend de nous / J’avoue / Ne plus savoir à quoi je sers / Sans doute à rien du tout. » Enfin, Mylène Farmer peut prendre des vacances, à La Ferté-Allais, ainsi qu’aux Indes, pour un voyage plus promotionnel, au cours duquel elle se fait photographier par Marianne Rosenstiehl.
Après quelques ajustements de dates, la tournée redémarre le 19 septembre à Grenoble pour quasiment trois mois. Ce marathon est épuisant pour Mylène et son équipe, et la pression est maximale. L’album du concert sort le 8 décembre (date de la final à Bercy), et la vidéo quelques mois après. Cette dernière, plus qu’une retranscription brute de live, est un véritable film réalisé par Laurent Boutonnat, tourné officiellement lors des deux dates bruxelloises de Mylène les 20 et 21 octobre. Remarquablement réalisé, il inaugure la conception qui sera celle de Mylène Farmer et Laurent Boutonnat d’offrir au public « le film du spectacle ». Entendez que ce long-métrage est retravaillé à partir de plusieurs dates (parfois avec des moments tournés « sans publics ») pour proposer une sorte de best-of, mais sans que cela ne soit trop visible. Du grand art ! A la fin du film, le cimetière qui constitue le décor du concert brûle intégralement… On casse tout avant de repartir encore plus fort !